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L'Ecran noir

10 Octobre 2014 , Rédigé par Thierry

Le noir, au cinéma, est une ponctuation, un passage d’un espace à un autre, et, le plus souvent, d’un temps à un autre. Un noir est d’autant plus passage qu’il est souvent précédé d’une fermeture au noir, disparition d’une image dans le noir, comme il peut être suivi d’une ouverture au noir, naissance d’une image dans le noir. C’est ce qui est systématiquement fait entre chaque plan séquence des Fleurs de Shanghai où le plan est conçu comme une île. Plus le noir est long, plus l’ellipse est grande. Parfois, le noir acquiert le statut d’image en soi. Il est joué comme une note à part : le spectacle se fait invisible, et c’est le son qui fait image.


Le noir et la métaphore


Le noir joue un rôle narratif et symbolique. Uma Thurman est ensevelie vivante dans un cercueil dans Kill Bill volume 2. Son emprisonnement et sa libération ont lieu sur un écran noir, laissant jouer le son seul avec les pelletées de terre qui recouvrent le cercueil, et le souffle rauque d’Uma Thurman, suppliant, proche de l’agonie. Le spectateur ne voit que le noir dans ce moment à la fois réaliste – il est dans la même situation que le personnage – et métaphorique – c’est une mise en scène du passage vers la mort. Il faut donc qu’Uma Thurman réussisse à allumer la lumière, d’une lampe de poche, de la projection, et qu’elle jaillisse hors de la terre ; elle rejoue en accéléré et en temps quasiment réel le long coma du début du Premier volume. Quand elle sort de la terre, elle est filmée telle une morte vivante : de l’extérieur, sa main s’extirpant, à la manière des films d’horreur.


Le noir et l’abstraction


Passer par l’écran noir, c’est flirter avec les symboles parce que le noir, s’il n’est pas une couleur, n’en est pas moins pictural. Dans Five de Kiarostami, le cinquième poème est le reflet de la lune dans un étang. Quand les nuages passent devant la lune, il n’y a plus rien : le champ est vidé, noir. Parfois la lune revient après un long temps. Seul le son dévoile l’action, les chants d’animaux indéfinis et changeants, les bruissements du vent, ou l’orage qui gronde, brisant un instant l’obscurité à coup d’éclairs. En en montrant le moins possible, Kiarostami échappe au réalisme parce que l’espace de projection est maximal et recouvre tous les possibles. Déjà dans ABC Africa, lors d’un orage, le courant était coupé et laissait dix minutes noires au seuil de l’abstraction.


Le plan noir et le silence de l’image


Si le plan noir échappe au sens, c’est qu’il crée son propre espace, un espace musical. Dans Eloge de l’amour, Godard joue les plans noirs comme autant de silences. C’est le moment où l’image se tait, alors que le son continue. C’est ainsi que Duras l’utilise dans ses films, dans L’Homme Atlantique en particulier. Il ne reste plus que la voix sur du noir, la voix qui dirige l’acteur amant, ce qui crée un plan en soi, un espace de projection où le film est la salle ne font qu’un. Yann Andréa marche une fois, deux fois, et le deuxième essai ne peut être montré de la même façon, de même que l’amour ne peut être revécu. Le plan noir est à la fois le champ et le contrechamp Yann Andréa/Duras. Il est ici au niveau du film comme dans Kill Bill II (Uma Thurman d’un côté, ce qu’elle voit de l’autre) et hors du film (ce qu’il y a sur l’écran et la salle plongée dans le noir absolu).
Le noir, quand il n’est pas coupe, ellipse, est donc une violence faite à la représentation qui s’absente le temps de quelques images, ou d’un film entier. C’est la provocation de Monteiro d’avoir inversé les plans : la totalité du film est noire, alors que les noirs elliptiques des films classiques sont représentés par des paysages. Le conte, Blanche-neige, ne peut plus être raconté : il n’en reste que les dialogues privés de la chair des acteurs. Face à la surenchère des images, les cinéastes feraient bien de penser un peu aux noirs, ces espaces limites qui mettent en scène la mort du cinéma lui-même, petite mort puisque c’est aussi la frontière où le cinéma renaît, par la peinture et par la musique, à lui-même.

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