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L'Académisme

15 Juin 2014 , Rédigé par Thierry

L’académisme est à l’origine un mouvement dans l’histoire de la peinture du XIXème siècle. Les artistes qui voulaient faire carrière (Cabanel, Gérôme, Bouguereau) devaient répondre à un certain nombre de règles dans les sujets représentés, en particulier l’Antiquité, comme dans la façon de les représenter. Le caractère conventionnel de ce mouvement lui a souvent valu l’appellation moqueuse d’Art Pompier. Par extension, l’académisme est devenu une notion péjorative et désigne tout type d’art qui repose sur des conventions et qui se contente d’être illustratif.


Il n’y a pas d’antiquité du cinéma, l’académisme est donc déporté sur d’autres codes, socioculturels et en référence à d’autres arts.



Les codes au cinéma.


Des Plumes dans la tête de Thomas de Thier repose sur un système de codes, une imagerie belge, poétique : les filtres bleus succèdent aux filtres jaunes (esthétisation onirique), les images sont celles archi-codifiées de l’eau croupissante, des grands champs déserts, des ciels lourds, et l’histoire elle-même repose sur la présence fantomatique des êtres (un enfant mort, une mère qui perd la raison et le contact avec le réel). Tout va dans le même sens : la représentation d’une histoire conventionnelle par les moyens tout aussi conventionnels qui lui correspondent. Le film académique est donc par essence redondant : il ne raconte rien d’autre que lui-même, et la vision du film n’ajoute rien à son récit (le raconter = le voir).


Le cinéma académique est avant tout un cinéma pictural de la joliesse, qui joue non pas du code comme d’une référence (intellectualisation qui distancie), mais qui l’utilise au premier degré, comme reprise d’un système, en dehors même de l’histoire des codes utilisés[1].



Le cas (d’école) du film d’époque.



A partir du moment où l’époque représentée par un film n’est pas contemporaine, le risque d’académisme est décuplé parce que le référent n’est plus le réel mais c’est bien souvent les autres arts, en particulier, la peinture[2].


La Jeune Fille à la perle de Peter Webber a comme personnage principal Vermeer, et chaque plan est une référence au peintre : lumière qui vient d’une fenêtre sur la gauche, jeunes actrices qui semblent sortir de tableaux. L’idée du récit était de représenter le peintre à un moment donné de sa vie, de faire d’un personnage historiquement secondaire, et d’ailleurs inconnu, la jeune fille, le personnage principal, mais le film lui-même n’effectue pas cette transposition puisqu’il se contente de plagier des tableaux en dehors de ce qui pourrait se passer dans le cadre. Il provoque donc l’ennui. Chaque plan existe pour sa beauté mais malheureusement perd souvent son sens profond d’enregistrement du présent. Le rendu pur d’une ambiance semble plus important que d’assister à quelque chose en train de se dérouler.



Le cinéma comme enregistrement.


Le cinéma est peut-être l’art qui pardonne le moins l’académisme parce que son principe est de représenter quelque chose qui semble se passer devant nos yeux pour la première et la dernière fois – de l’unique. S’il y a code préétabli, il doit être transcendé.


D’un côté, on a le Vermeer du film, de l’autre le Van Gogh de Pialat : d’un côté l’image figée d’un artiste, mystérieux, ténébreux,… représentation historique dictée par le bon sens, de l’autre, l’acteur Dutronc qui représente Van Gogh, non pas tel qu’il se doit d’être, mais tel que Pialat le montre quotidien, allongé dans l’herbe et parlant des bras fins de sa compagne, en un mot : vivant. Le mystère n’est pas préétabli, il naît du film lui-même, alors même que le film se sert de référents picturaux – tout l’impressionnisme passe dans Van Gogh –, et le questionne au sein des plans – les tergiversations autour de la jeune fille jouant du piano. L’esthétisme est là mais il se construit et se détruit pendant les scènes. Le film d’époque n’est donc pas académique par fatalité, l’utilisation de tableaux dépasse parfois l’illustration (Esther Kahn, Barry Lindon).


On pourrait dire que le film académique n’a pas subi l’opération du tournage, qu’il n’est pas passé par un chaos, n’a enregistré que des lumières et des sons recopiés, et non des plans vivants. Le film académique répète des figures, des règles, il est donc joué d’avance, alors que la matière du cinéma est indéchiffrable a priori. Elle se passe dans un présent sans cesse renouvelé. L’académisme n’a pas de temps, c’est pour cela qu’il est présent à toutes les époques, mais c’est aussi pour cela que, n’en représentant aucune, le film académique dépérit aussitôt qu’il a été vu.


[1] Dans une certaine mesure, il y a donc de nombreux académismes, un par style, un par pays, régions, etc.


[2] On peut illustrer un roman, recopier un tableau, mais on ne peut que transposer de la musique au cinéma. Cette relation n’étant pas une copie mais un transfert, la musique au cinéma en tant que source d’inspiration, pas en tant que B.O., semble échapper à l’académisme.

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