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La Citation

15 Juin 2014 , Rédigé par Thierry

La citation d’images au cinéma a une violence particulière : elle rompt la continuité du film pour insérer entre deux images d’autres images d’autres films. La citation insère donc de l’étranger à l’intérieur du même. C’est une greffe. Cela pose un problème moral, esthétique et économique – avec les droits d’auteur. C’est donc un choix fait bien souvent avant le moment où ses images sont insérées au montage.


La Citation comme acte cinéphilique


Il faut différencier la citation et la référence, lorsque ce ne sont pas les images mêmes d’un autre film, mais le film lui-même qui rejoue un autre. C’est le cas des films de la Nouvelle Vague qui réécrivent des films fétichisés. L’exemple le plus parlant serait Pierrot le fou de Godard, palimpseste de Monika de Bergman, avec la séquence de l’île notamment. Ou encore : Anna Karina caressant un renard rappelle Jennifer Jones dans La Renarde de Michael Powell. Mais, dans la référence, il n’y a pas rupture, les images étrangères nourrissent, éclairent, inspirent, mais ne sont pas présentes en tant que telles.
Dans le dernier de Bertolucci, Innocents (The Dreamers), trois jeunes cinéphiles rejouent des scènes, qui ainsi invoqués apparaissent et apportent un contrechamp, entre le modèle et la copie. Ils courent dans un musée comme dans Bande à part : les images de Bande à Part s’insèrent à l’intérieur de leur course. Mais il y a évidemment le risque de l’artifice, et de la comparaison. Quand la jeune fille du trio veut se suicider, des images de la Mouchette de Bresson roulant devant la rivière s’infiltrent : là ce n’est plus le jeu, le désir des personnages, mais la narration qui nous impose cette vision de façon dictatoriale puisque les deux suicides ne se ressemblent nullement, ni dans la mise en place, ni dans leurs raisons. C’est une citation artificielle qui éloigne cruellement des personnages – fantoches de la narration –, et du film – il n’a pas le niveau de Mouchette.



La Citation, contrepoint / contrechamp


A l’opposé, un autre grand cinéphile Alain Resnais dans Mon Oncle d’Amérique crée un lien subtil entre ses personnages et des héros de cinéma. La relation avec le modèle est vue comme un adéquation inconsciente. Gérard Depardieu est fou de Jean Gabin, Roger-Pierre de Danièle Darrieux et Nicole Garcia de Jean Marais. Des images de ces trois acteurs s’insèrent dans le récit de leurs mésaventures. Depardieu est défait : on voit une image de Gabin, assis et dévasté. Nicole Garcia sauve Roger-Pierre, on voit Jean Marais porter une jeune femme. L’univers imaginaire des personnages est tellement fort qu’il s’impose entre les images du réel. Ces images sont toujours en noir et blanc, dans un film en couleur, et se donnent d’emblée comme citation. Elles sont toujours dirigées, malgré une différence de ton (allant de l’émotion à l’ironie), comme des contrechamps (un plan), une dramatisation distanciée qui prend place à l’intérieur de la réflexion du film sur la détermination et les rats du professeur Labori.


La Citation comme analyse


Chez Resnais, la citation est un effet poétique, un contrepoint musical. Mais elle peut aussi faire avancer l’intrigue, voire faire partie d’une intrigue. La Splendeur des McElwee de Ross McElwee commence par la découverte d’un film hollywoodien, Bright Leaf / Le Roi du tabac de Michael Curtiz. Il est persuadé que ce film raconte l’histoire de son grand-père. Le film hollywoodien deviendrait un home-movie avec Gary Cooper dans le rôle du grand-père. Le film est analysé d’abord sur le plan sociologique, historique, le réalisateur essaye de trouver les points communs avec son grand-père. Les images du Roi du Tabac apparaissent comme des preuves qui doivent être comparées avec le réel. On voit une scène de criée de film de Curtiz, puis une documentaire, le son des deux ne fait qu’un : il y a adéquation dans un premier temps. Puis, dans un second temps, les extraits sont commentés d’un point de vue cinématographique : on voit alors les images en alternance avec un critique de cinéma qui démonte le film de Curtiz. Déception de McElwee qui perçoit la facilité de certains effets du film comme les fondus et les mini-séquences clichées sur l’évolution de la production. Dans un troisième temps, et c’est là que le film devient vertigineux, les images considérées comme de justes représentations sont mises en cause : son grand-père n’est peut-être pas le personnage qu’il croyait, et même peut-être aucun personnage. On revoit les mêmes images du film de Curtiz, mais différemment : elles sont réévaluées, à l’aune des analyses. La subtilité de McElwee est de montrer qu’on peut faire dire ce que l’on veut aux images avec de la mauvais foi ou du talent. La citation travaille le film de l’intérieur ; les images montrées ne cessent de changer de sens.


La citation est donc un art dangereux quand elle n’est pas utilisée avec un point de vue fort, une nécessité, comme c’est le cas pour Resnais ou McElwee. C’est Godard qui a fait film la citation : Histoire(s) du cinéma est une superposition de citations et d’analyse esthétique (le cinéma comme histoire, l’histoire comme cinéma). Les images ne sont jamais citées telles quelles, elles sont travaillées, ralenties, mises en surimpression, cachées sous des titres. L’image du film autre est la matière même du film. Citer, ce n’est plus extraire, c’est composer avec des notes, rejouer d’anciennes harmonies avec de nouveaux instruments.

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